Rapport de l'Asadho sur le conflit inter-ethnique Hema-Lendu en territoire de Djugu dans la Province Orientale


ASADHO
RD Congo
07.12.99

 

SOMMAIRE

INTRODUCTION

I. ETAT DE LIEU

1. EMPLACEMENT GEOGRAPHIQUE

2. POPULATION

3. DONNEES ECONOMIQUES

II. DONEES HISTORIQUES SUR LA COHABITATION INTERETHNIQUE

1. MOUVEMENTS MIGARTOIRES ET OPPOSITION DE CULTURES

2. DES INCIDENTS ET FAITS MARQUANTS DU PASSE

3. UN MOT SUR LES MUTUELLES A CARACTERE ETHNIQUE

III. ECLATEMENT DU CONFLIT ACTUEL

1. QUELQUES FAITS IMMEDIATS

2. DECLENCHEMENT DES HOSTILITES

3. EXTENSION DU CONFLIT

4. BILAN

5. TENTATIVES DE PACIFICATION

IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

 

INTRODUCTION

La République Démocratique du Congo connaît depuis une dizaine d'années une crise aiguë caractérisée par l'effondrement de l'Etat. La volonté sporadique de fuite en avant de la part des acteurs sociaux est une des conséquences de cette crise d'Etat.

En effet, en l'absence de structures politiques solides et d'un cadre de décision et d'orientation nationale, les individus et les groupes sociaux veulent disposer eux-mêmes de leur propre destin sans autre intermédiaire social. Une culture d'état de jungle s'enracine ainsi au fil du temps. L'absence d'état de droit sert d'abri aux violations systématiques et massives des normes nationales et internationales garantissant la sûreté des individus et des peuples.

Le phénomène de " violence inter-ethnique " est au centre des préoccupation de l'ASADHO depuis plus de 7 ans. l'ASADHO en est arrivée a la conviction que caractériser ce phénomène comme simple " violence interethnique " cache souvent le rôle central de l'Etat dans sa survenance et des hommes politiques.

C'est quand l'individu cesse de croire en la capacité de bienveillance de l'Etat et au rôle protecteur des détenteurs du pouvoir d'Etat que survient la tendance à la fierté de servir et d'appartenir à un groupe ethnique, un clan encore cohérent qui demeurent des remparts naturels quand s'évanouit l'Etat.

Lorsqu'un conflit interethnique franchit un certain seuil de gravite, l'ASADHO est d'avis qu'il convient d'y voir une forme grave de violation des droits de l'homme par les détenteurs de la puissance publique. L'expérience des dernières années renseigne que ce sont les acteurs politiques qui, par action ou par impuissance sont régulièrement a la base de l'implosion des violences interethniques, même si des causes lointaines et historiques de ces dernières peuvent parfois être trouvées.

Tel est le cas du conflit inter-ethnique qui a oppose les peuples Lendu aux Hema dans le District de l'Ituri.

L'ampleur de ce conflit et les dégâts humains et matériels qu'il a engendres sont considérables. L'Association Africaine de Défense des Droits de l'Homme a mené des enquêtes de terrain pendant le mois d'octobre. Elle a recueilli le témoignage de nombreuses personnalités, y compris des acteurs sociaux des deux groupes ethniques, des acteurs politiques originaires des deux tribus, des dirigeants des églises locales, des administrateurs territoriaux anciens et actuels et de nombreuses victimes.

Le présent rapport, qui rappelle également les causes lointaines du conflit, porte sur la période allant de juin à début novembre 1999.

I. ETAT DE LIEU

1. Emplacement géographique

Les événements concernes par ce rapport se sont déroulés dans le nord-est de la République Démocratique du Congo, dans la Province Orientale, ex-Haut-Zaire. Kisangani est la capitale de la Province Orientale.

Cette Province est traditionnellement découpée en quatre districts ou sous-régions que sont :

- Tshopo, chef-lieu Yangambi,

- Haut-Uélé, chef-lieu Isiro,

- Bas-Uélé, chef-lieu Buta, et

- Ituri, chef-lieu Bunia.

C'est dans le District de l'Ituri que se sont déroules les affrontements dont il s'agit. Ce district est directement frontalier au Soudan (par la Province soudanaise de Yei), au Nord; a l'Ouganda à l'Est et a la province congolaise du Nord-Kivu au Sud (par les Territoires de Beni et de Lubero).

Par décret signe le 22 juin 1999 par le général de brigade James KAZINI, officier de l'armée ougandaise qui occupe cette partie du pays, le district de l'Ituri a été fusionne avec celui voisin du Haut-Uélé pour former une nouvelle " province ", dite du KIBALI-ITURI. Le même décret désignait Mme Adèle LOTSOVE MUGISA, alors membre du RCD/Wamba passée depuis au MLC (J.-P. Bemba), comme " gouverneur " de la nouvelle " province "

Le District de l'Ituri est lui-même subdivisé en cinq Territoires ou Zones. Ces Territoires sont: Mambasa, Aru, Mahagi, Irumu et Djugu.

Djugu est le Territoire où se déroulent les affrontements entre les peuples Lendu et Hema-Gegere. Ce Territoire est à son tour subdivisé en cinq Collectivités :

- Collectivité des Walendu-Pitsi,

- Collectivité des Walendu-Djatsi,

- Collectivité des Walendu-Tatsi,

- Collectivité des Bahema-Banywagi, et

- Collectivité des Bahema-Badjere.

 2. Population

Selon des chiffres communément admis (il n'y a pas eu de recensement depuis plusieurs années), le District de l'Ituri compterait environ 3.500.000 personnes réparties entre les ethnies : Lendu, Hema, Alur, Bira, Nyari, Mambisa, Ndo-Okebo, Lugbwara, Kakwa, Logo, Lese, Ngiti. Les Ngiti, appelés aussi Lendu-Bindi, sont établis dans le Territoire d'Irumu. Ils appartiennent donc à la grande famille des peuples Lendu, qui sont de souche soudanaise. Ces derniers, formeraient, à eux seuls, près de la moitié de la population de l'Ituri. Ils sont, avec les Hema, les ethnies les plus influentes de la contrée.

Les Hema sont essentiellement établis dans les Territoires de Djugu et d'Irumu. Ils sont eux aussi subdivisés en deux groupes. Ceux du sud, qui ont conservé leur culture et même la langue, sont souvent appelés "Banyoro" tandis que ceux du Nord les "Bagegere" s'étaienst mêlés aux Lendu. Ils s'expriment d'ailleurs en kilendu et en ont fait leur langue maternelle contrairement à leurs frères du sud. Les Gegere sont à la fois commerçants et éleveurs, mais plus encore commerçants, tandis que les Nyoro sont presque exclusivement éleveurs.

Evidemment, à côté des autochtones on signale, dans cette partie du pays, d'autres communautés ethniques, en particulier les Nande du Nord-Kivu établis essentiellement dans les centres urbains de Bunia et Mongbwalu. Plusieurs autres ethnies du pays y sont également signalées en nombre moins important.

Un effectif considérable de ces groupes ethniques cités se retrouve dans le territoire en conflit de Djugu dont la superficie est de 8.730 Km2 avec une population d'environ 1.200.000 habitants. C'est le Territoire le plus peuplé de l'Ituri.

3. Donnes économiques

Comme dans la plupart des régions du Congo, la population ici vit essentiellement de l'agriculture. Viennent ensuite l'élevage, la pêche (Lac Mobutu) et le commerce. Le district possède en outre des potentialités énormes avec les deux puissantes centrales hydroélectriques: Centrales de BUDANA et de SOLENIAMA.

A cette richesse s'ajoutent les mines d'or de l'OKIMO (Office des Mines d'or de Kilo-Moto) dont le principal centre d'exploitation, MONGBWALU, ainsi que le siège administratif, BAMBUMINES/Camp YALALA sont localises dans le Territoire de Djugu.

Dans la localité de KPANDROMA, Territoire de Djugu, de riches plantations de café et des usines de traitement de café confirment la thèse qui présente Djugu comme étant le Territoire, non seulement le plus peuplé, mais également le plus riche de l'Ituri.

II. DONNEES HISTORIQUES SUR LA COHABITATION ENTRE ETHNIES

1. Mouvements migratoires et opposition de cultures

Comme c'est généralement le cas à travers toute la région des Grands-Lacs de l'Afrique centrale, deux cultures et traditions diamétralement opposées ont traditionnellement cohabité en Ituri. D'un côté des agriculteurs, attachés à la terre et dont le besoin de sédentarisation pousse à la stabilité locale, critère de leur survie. De l'autre des éleveurs dont le besoin pour plus d'espace pour leur bétail est à la base de leur propension à migrer et à chercher plus d'espace autour d'eux.

L'avènement de l'Etat a imposé des contraintes aux mouvements migratoires notamment en diversifiant les activités pour la survie des individus. Mais la tradition pastorale, qui fait partie des réalités nationales, est restée assez profondément enracinée avec le besoin d'acquérir plus d'espace qui la caractérise. Pour les pasteurs, ce besoin, de tous les temps, ne pouvait se réaliser valablement que s'ils arrivaient à accéder au pouvoir de décision dans le jeu politique local des milieux où ils s'établissent. D'où l'esprit de domination " dont les peuples pasteurs ont régulièrement été accuses.

Le conflit des traditions opposées, et apparemment incompatibles, entre modes de vie agricole et mode de vie pastorale va éclater lorsque les acteurs des deux tendances sont amenés à conquérir ou à garder à tout prix le haut du pavé dans un environnement qui de plus en plus cède aux opportunités de négation de la sagesse universelle qui consacre l'égalité des peuples.

Le cas Ituri apparaît ainsi comme une miniature, ou du moins un éveil de l'antagonisme qui a ensanglanté le Rwanda, resté tristement un exemple par excellence chaque fois qu'il vient de parler de la coexistence conflictuelle des peuples en Afrique. Le démon qui a fait raser des villages entiers et leurs habitants dans le Masisi et qui a justifié des barbaries épouvantables au Rwanda, a trouvé un autre terrain de prédilection dans le district de l'Ituri qui réunit l'essentiel des conditions qui ont permis la réalisation du génocide et des barbaries au Rwanda et au Kivu.

Les données historiques dans l'Ituri sont que les Hema (peuple classé " nilotiques " selon la terminologie des ethnologues) ont migré par petites vagues durant deux ou trois siècles sur l'espace qui s'étale sur la rive ouest du lac Mobutu (Lac Albert). Ils ont choisi de se mêler aux Lendu arrivés plutôt. Ce qui n'est pas le cas des Alur (autre peuple nilotique) qui eux, migrant à peu près à la même période, ont préféré pousser les Lendu devant eux, délimitant ainsi les terres acquises, ce qui a l'avantage de les épargner des menaces d'affrontements inévitables avec leurs hôtes, les Lendu.

Mais quand on remonte l'histoire, on trouve que les Lendu avaient aussi du chasser les Lese et les Nyari, qui, eux-mêmes avaient auparavant chassé des mêmes terres les Mbuti (pygmées), traditionnellement présentés comme les premiers occupants. Les migrations se poursuivaient même pendant l'époque coloniale. Elles partaient des territoires ouest de l'actuel Ouganda.

2. Des incidents et faits marquants du passé

Si les autres groupes ethniques de l'Ituri ont généralement entretenu des relations assez paisibles, la cohabitation avec les Hema a toujours été particulièrement difficile. Très souvent la méfiance tourne en affrontements sanglants. Plusieurs incidents ont été signalés notamment durant la période coloniale. Par exemple :

- en 1911, un chef hema, BOMERA, est assassiné par les Lendu-Bindi dans l'actuel territoire d'Irumu. Les affrontements qui s'ensuivent s'étendent jusque sur l'actuel territoire de Djugu.

- En 1923, pour prévenir d'autres incidents, l'autorité coloniale décide de délimiter les Collectivités de ce rayon qui se retrouvent de part et d'autre dans les girons des Territoires d'Irumu (au Sud avec Hema-Nyoro et Lendu-Bindi) et de Djugu (au Nord avec essentiellement les Lendu-Pitsi-Djatsi-Tatsi et les Hema-Gegere).

Avant 1960 donc, les conflits qui éclataient étaient réglés et contrôlés par l'administration coloniale, même s'il n'est pas certain que les solutions étaient toujours équitables ou même durables. Ainsi, les leaders Lendu estiment avoir été systématiquement lésés à l'époque coloniale, contrairement aux Hema qui ont massivement bénéficié de facilités de scolarisation qui devaient leur permettre plus tard d'être représentés dans tous les secteurs sociaux.

D'après les données historiques, la vieille technique de l'administration coloniale consistant à favoriser certains groupes au détriment d'autres en faisant répandre des mythes d'infériorité' et de 'supériorité' pour mieux diviser les peuples colonisés à bien marche dans l'Ituri. En l'occurrence, ce sont les hema, peuple pasteur qualifié de 'supérieur', qui a bénéficié des largesses coloniales au détriment des agriculteurs Lendu marqués d'un label d'infériorité. Les régimes politiques successifs auraient, même après l'indépendance, perpétué cette différence de traitement en se montrant plus bienveillants envers les leaders hema qu'envers les Lendu.

Les frustrations nées d'un sentiment, réel ou suppose, de " domination " des Lendu par les hema, sont à la base de nombreux incidents même après l'indépendance.

Par exemple, en 1966, suite à l'insoumission des Lendu aux autorités administratives locales, en majorité hema, l'autorité provinciale organise une répression qui fait de nombreuses victimes civiles Lendu.

En 1974, un leader Lendu, M. Soma MASTAKI, crée le Parti de Libération des Walendu (P.L.W) dans le but de constituer un cadre pour les revendications politiques de sa communauté de plus en plus marginalisée dans la gestion des affaires du district. Mais le mouvement dérape rapidement et prend la forme d'une milice qui tend des embuscades et lance des attaques contre des civils hema. La cruauté qui accompagne ces attaques terroristes est telle, par exemple, que des cas d'empoisonnement systématique des jeunes hema sont signalés dans les établissements scolaires. Aujourd'hui encore le sigle "P.L.W." est synonyme de 'poison' dans le langage populaire local.

En 1975, dirigeants communautaires Lendu et Hema signent un pacte de réconciliation sous l'égide du gouverneur de région du Haut-Zaïre, M. Assumani BUSANYA LUKILI. Les neuf ans qui suivent (1975 - 1984) sont une période relativement calme avant que, de nouveau, les tensions reprennent lentement mais sûrement.

Ainsi en 1993, les Ngiti et les Hema s'affrontent à nouveau dans le Territoire d'Irumu faisant un grand nombre de victimes. L'armée décide alors d'intervenir. Des commandos du 412ème bataillon du Mont-HAWA sont dépêchés sur les lieux. Sous le commandement du colonel EKUTSHU, ils recourent à l'artillerie lourde pour écraser les guerriers Lendu. Des massacres de civils sont signalés dans les localités de Gety-Etat, Songolo, Bukiringi,...

En 1995, c'est au tour des Banyari-Kilo de s'élever contre les Hema après la mort, dans des circonstances demeurées floues, du Chef Nyari, Monsieur KUTILO AWOPAI. (c'était le 22 juillet. L'autopsie avait toutefois signalé une crise d'hépathite). Les Hema-Gegere, accusés d'être derrière cette mort et vaguement soupçonnés d'entretenir des 'ambitions politiques' sur la Collectivité, sont chassés du centre de Kilo-Etat, chef-lieu de la Collectivité des Banyari-Kilo, sur la route Bunia-Mongbwalu. Leurs habitations sont saccagées. Il semble en tout cas que les Lendu ne se mêlent pas a ces affrontements nyari-hema, puisque les Hema vont d'ailleurs trouver refuge dans la localité Lendu de KOBU à une dizaine de kilomètres du centre de Kilo.

En 1998, Hema et Lendu concluent à nouveau un pacte de paix en présence du Gouverneur de la Province Orientale, Monsieur Yagi SITOLO. Le pacte est consolidé par la création d'un organe de suivi, le "Conseil Consultatif des Chefs coutumiers de l'Ituri" (CO.C.C.I.).

3. A propos des mutuelles à caractère ethnique

On ne finira pas de parler de cette région sans évoquer le rôle des mutuelles à caractère ethnique et qui ont contribué en quelque chose à l'éloignement des deux communautés antagonistes. En effet, les Hema (Gegere et Nyoro confondus) seraient regroupés au sein de la mutuelle "ETE" (ce qui, en kihema, veut dire "vache". Vache : signe de noblesse). De leur côté, les Lendu se retrouveraient dans la mutualité "LORI" (ce qui, en kilendu signifie "arbre à palabre"). Pendant que les Hema croient ici renforcer leur solidarité, surtout à la lumière des affrontements réguliers dans le Territoire d'Irumu où nombreux de leurs frères périssent ; les Lendu quant à eux, considèrent que leur mutuelle "LORI" est une occasion et une preuve de prise de conscience. Toutes les cartes sont ainsi faites pour que la division perdure. Selon toute vraisemblance, les acteurs de la région croient plus aux mutuelles qu'au CO.C.C.I.

III. ECLATEMENT DU CONFLIT ACTUEL

1. Quelques faits immédiats

Malgré la conclusion du pacte de 1998, les acteurs ne semblent pas avoir compris la nécessité de rechercher la paix. On signale, à titre d'exemple, que des riches hema, dont une puissante famille Gegere, la famille SAVO, continuaient à s'attribuer des terres, même celles qui étaient encore litigieuses.

Les contestations du côté Lendu ont commencé à être vives en août 1997 dans la Collectivité-Secteur des Walendu-Pitsi. Un leader local Lendu, M. NGBADHENGO GOBBA, Président du Conseil de la Collectivité, soutenait les paysans dans leurs contestations. Il serait même parvenu à organiser une réunion des responsables Lendu dans la concession d'un éleveur Hema-Gegere du nom de MAGBO MUGENYI, dans la localité de Tsunde, Groupement de D'ZNA.

Cette attitude parait s'expliquer par le fait qu'il avait lui-même un lopin de terre menacé à côté de la concession de Monsieur Singa KODJO, un autre concessionnaire hema-gegere.

La tension devenant de plus en plus vive, une importante réunion est organisée le 19 juin à KPANDROMA, par Monsieur Christian NGANGA LOLO, Administrateur de Territoire de DJUGU, à l'intention des concessionnaires hema (MAGBO MUGENYI, LOBHO TSORO, MANASE SAVO, SAVO SOSTENE, SAVO PARQUET,SAMUEL UGWARO, SINGA KODJO, MATESO TSORO, ABISAY,...) et des cadres Lendu regroupés au sein de la mutualité LORI. Marquée par un échange particulièrement orageux, la rencontre se termine à queue de poisson.

Toutefois, comme s'ils s'attendaient à quelque chose de grave, les concessionnaires hema, depuis fin mai 1999 avaient chacun une équipe de soldats ougandais de l'UPDF (armée gouvernementale ougandaise qui occupe le territoire) pour veiller sur leurs biens.

2. Déclenchement des hostilités

Les premiers actes de violence du conflit actuel datent de fin avril 1999, dans les localités de BUBA et AGBORO a une dizaine de kilomètres de KPANDROMA. Après les témoignages recueillis par l'ASADHO, les mésententes entre le concessionnaire hema SINGA KODJO et ses voisins agriculteurs Lendu sont apparues lorsque celui-ci, apparemment soutenu par les autorités ougandaises/RCD, faisait évacuer les agriculteurs des terres situées autour de sa concession et dont il revendiquait la propriété. Des sages et cadres Lendu avaient été arrêtés et transférés à la prison de Bunia, ce qui, alors, avait provoqué un soulèvement Lendu. La concession de Singa KODJO avait été attaquée. La tension s'était éteinte lorsque la radio annonçait leur libération. Tout était redevenu normal.

Mais d'autres incidents devaient être signalés début juin. Les concessionnaires se seraient apparemment obstinés et tenaient à se rassurer de la propriété des terres jouxtant leurs concessions. La tension est ainsi montée du côté des Lendu qui croyaient l'affaire clôturée. l'ASADHO a appris que les Lendu avaient ainsi décidé de détruire des biens des hema sans distinction dans le but de les contraindre à quitter leurs terres. Des casses avaient effectivement été signalées.

La rencontre du 19 juin à Kpadroma intervenait dans un climat déjà tendu.

Plusieurs témoins ont confié à l'ASADHO que les soldats ougandais sont alors intervenus du cote des éleveurs hema. D'après ces témoins, c'est cette attitude partisane des autorités militaires ougandaises qui a aggravé la situation. On signale ainsi que les militaires ougandais ont procédé aux arrestations dans les milieux Lendu. Ils ont aussi engagé des affrontements directs avec des combattants Lendu, ce qui aurait rallumé la colère et la haine contre les hema du côté Lendu.

Les affrontements à caractère ethnique vont effectivement débuter après la rencontre houleuse du 19 juin, à Kpandroma. Des tueries massives sont signalées.

Des soldats ougandais s'en mêlent activement. Le bilan des deux premiers jours (19 et 20 juin) est particulièrement lourd. On avance le chiffre de 200 morts en majorité des Hema. La tension gagne spontanément plusieurs autres localités.

Mardi 22 juin en pleine tension, Madame Adèle LOTSOVE MUGISA, une hema-gegere, proclame à Bunia la Province du Kibali-Ituri joignant le district de l'Ituri au district voisin du Haut-Uélé. Elle s'autoproclame gouverneur de la nouvelle province. L'acte de sa désignation est formellement signé par un officier ougandais, le Général de brigade James KAZINI, alors Commandant des troupes ougandaises en RDC. Cette démarche est rapidement perçue comme une tentative visant à donner davantage de poids à la communauté hema, partie au conflit. Sur terrain, dans l'entre-temps, la situation ne fait qu'empirer.

Début juillet, le Commandant des troupes ougandaises à Bunia, le capitaine KYAKABALE dépêche une unité dans la zone en conflit. Les informations sont que les soldats ougandais, sans sommation, se seraient mis à décimer des Lendu et à ravager des villages entiers. Les sources interviewes par l'ASADHO concordent pour accuser l'armée ougandaise de massacres des populations civiles Lendu.

Désemparés, les Lendu auraient même envoyé une délégation de l'autre côté de la frontière pour consulter le Commandant des troupes ougandaises à PAHIDHA, localité ougandaise frontalière du Congo. Ce commandant était supposé avoir du conflit hema-lendu une approche différente de celle de ses collègues de Bunia. Mais la démarche ne semble pas avoir profité aux dirigeants Lendu qui, rentrés bredouille, auraient simplement constaté qu'il ne leur restait d'autres alternatives que de " compter sur eux-mêmes ".

3. Extension du conflit

Une semaine après le déclenchement des affrontements à Kpandroma, les tueries sont signalées dans plusieurs localités dont TSUPU-LIBI. Le conflit affecte, à ce stade, les onze Groupements de la Collectivité des Walendu-Pitsi et une partie de la Collectivité Chefferie des Ndo-Okebo. Il s'agit notamment de :

* Groupement de DZ'NA : des soldats ougandais se sont voilement affrontés aux guerriers Lendu dans plusieurs localités. Dans le centre de Tsupu-LIBI les affrontements auraient coûté la vie à quelques centaines de personnes, essentiellement des Lendu.

* Même situation (affrontements UPDF-Lendu) dans le Groupement de TSUNDE.

* Groupement de MIBREBU. Le centre de BALE a vu les boutiques et propriétés des commerçants hema incendiées.

* Groupements de LAUDJO et LADEDJO. Le pilonnage des soldats ougandais de l'UPDF contre les retranchements Lendu a coûté la destruction quasi totale des Centres de Santé BLUKWA-MBI et LAUDJO de même que du Poste de Santé VIDZA.

* Groupement DHERA: le petit centre commercial a été complètement rasé des suites des affrontements.

* Groupement de BUBA : ses deux principaux centres : LOKIMA et NDEKE ont vu toutes leurs boutiques incendiées. Un agent vétérinaire hema, M. NGADJOLE HANGKA a été chassé et tous ses biens auraient été pillés ou endommagés.

* Groupement de ZABU : un grand centre de négoce. Des massacres d'une extrême cruauté s'y seraient opérés. Des morts d'hommes ont été signalés dans les marches, les maisons d'habitation, sur les lieux de palabre,...

* Groupement de UTCHONDI : son principal centre NGELENGELE est vidé de sa population qui se terre dans des brousses après que les éléments de l'UPDF, à la poursuite des guerriers Lendu, se soient livrés à des massacres.

* Groupement de DHENDO-PETRO: principal centre JIBA. Plus de vie. Même le bâtiment de l'église catholique aurait été détôlée. Les familles hema ont fui la contrée. Les populations Lendu ont également fui les tirs des soldats de l'UPDF sur les guerriers Lendu.

* Groupement de LINGA : massacre de civils au marché du même nom.

Parti donc de la Collectivité des Walendu-Pitsi, frôlant celle des Ndo-Okebo, le conflit s'est étendu sur la Collectivité des Walendu-Djatsi. le conflit a également touché des villages Alur-autre peuple nilotique. Les informations recueillies par l'ASADHO indique que les guerriers Lendu ont incendié des maisons dans les villages Alur de : NDALUSENE, ZAA, RHA(ici ils ont incendié le pricipal établissement scolaire : Institut UTCHUNE/humanités littéraire, Pédagogique et Scientifique), LENGE( Ecole primaire catholique, dispensaire et la maternité incendiés). Près de NGOTE (chef-lieu de la collectivité de PANDORO), juste à la bifurcation de NDJUPANINGE, ils ont incendié les ponts, des dispensaires et des bâtiments scolaires.

De leur côté, les jeunes Alur ont réagi en attaquant des villages Lendu ( ou ce qui restait après les ravages de l'UPDF) essentiellement sur l'axe RETY-NGELENGELE-KPANDROMA-UTCHONDJI-UGWARO et autour de UKETHA (groupement enclavé des Ndo-Okebo, peuple très proche des Lendu). Après ces attaques, les Lendu ont rapidement cessé de prendre les Alur à partie).

Les affrontements ont été signalés également dans les localités de LODHA, SANDUKU et un peu autour de FATAKI. FATAKI serait pourtant le lieu de refuge pour les familles hema. Les informations recueillies par l'ASADHO signalent que le lieu n'est pas suffisamment sûr. En début septembre, un officier ougandais y avait été abattu par deux flèches empoisonnées vraisemblablement tirées par des guerriers Lendu.

Le conflit qui, à son origine, est à la fois foncier et inter-ethnique, a rapidement impliqué l'armée ougandaise qui a nettement pris parti.

Les guerriers Lendu, organisés dans une milice du type Mai-Mai, se garniraient de gris-gris avec l'espoir d'être invulnérables. Ils livrent des combats en costume d'Adam . Munis d'armes rudimentaires (flèches empoisonnées essentiellement), ils sont néanmoins régulièrement massacrés par les unités de l'UPDF.

Un détail positif a néanmoins été signale a l'ASADHO: une seule Collectivité Lendu n'a pas été touchée par les incidents. Il s'agit de la Collectivité des Walendu-Tatsi. Ici Hema et Lendu continueraient à vivre en harmonie.

4. Bilan

* Des morts

En début septembre on avançait un bilan général de 1.200 (mille deux cents morts). Ce bilan a néanmoins été jugé en deçà de la réalité par de nombreux témoins interviewes par l'ASADHO. Les affrontements et les embuscades des guerriers Lendu notamment sur des axes routiers continuant, le nombre des victimes serait en progression. Ce bilan est provisoire et ne sera exhaustif qu'après une mission d'enquête internationale.

Plusieurs morts des dégâts matériels ont été le plus signalés dans le rayon SANDUKU - LIBI - DHERA

* Des déplacés

En août, on comptait environ 9.000 déplacés dans la localité de UGONJI, Collectivité de Djukoth, Territoire de MAHAGI.

Jeudi 11 novembre, la Radio locale, Radio CANDIP signalait l'arrivée de 15.000 (quinze mille) déplacés dans la localité de NIOKA, Collectivité de Pandoro, en territoire de MAHAGI. Le lendemain, vendredi 12 novembre, la même radio annonçait la présence de 10.000 déplacés dans les localités de ANDRU-LAMBI et LIKOPI, Collectivité des Walendu-DJATSI.

5. Tentatives de pacification

Lundi 5 juillet, Madame Adèle LOTSOVE tient un meeting populaire à Bunia pour expliquer à la population le bien-fondé de la Province du Kibali-Ituri. Elle en profite pour lancer un appel à la cessation des hostilités entre les deux communautés. Elle instruit en particulier le chef de Collectivité des Walendu-Pitsi, Monsieur LONGBE LINGA TCHABI (un Lendu) d'amener ses sujets à cesser les hostilités.

Apparemment la collaboration n'est pas franche, comme peut en témoigner l'incident ci-après: Mardi 20 juillet, Monsieur Longbe, (Chef de Collectivité des Walendu-Pitsi) revenant de Bunia à bord d'une camionnette Toyota-Stout est arrêté avec ses gardiens de corps près de FATAKI. Ils sont, par la suite, passé à tabac par un groupe de Hema qui les accusent du meurtre de 2 jeunes Hema retrouvés morts sur la route après leur passage.

Cet incident a réduit les chances de succès de la réunion Hema-Lendu qui était prévue pour le 29 du même mois. La réunion était largement bafouée, une bonne partie des participants s'étant présentés en retard. La réunion n'avait rien décidé. Durant les mois d'août et septembre, période d'intenses affrontements, aucune initiative majeure de pacification n'a été amorcée.

Certaines initiatives privées ont été signalées, notamment de l'église catholique locale. Ainsi la radio locale a fait passer des messages de paix de l'évêque du Diocèse de Bunia, Mgr Léonarde DHEJJU, lus par le Vicaire général, l'Abbé Etienne NDAYIKOSE.

Quant aux autorités rebelles RCD, elles ont récemment annonce la mise sur pied d'un " Comité de pacification " à pied d'œuvre depuis fin octobre. Il est présidé par M. Jacques DEPELCHIN, Commissaire Général à l'administration du territoire et décentralisation du RCD/Wamba.

D'autre part, on ne signale pas de cas de violence majeur. Néanmoins, les Hema ne peuvent pas, pour le moment, retourner dans les contrées ravagées et en majorité Lendu.

IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Il est urgent, dans l'immédiat, de :

1/ Renforcer la capacité du Comité de pacification en lui donnant notamment les moyens d'atteindre et d'organiser des rencontres suivies avec tous les acteurs du conflit. La participation des églises et des ONG locales aux travaux de ce Comité serait importante a cet effet. l'ASADHO n'est cependant pas en mesure d'évaluer le degré de confiance qu'inspire ce Comité crée a l'initiative des autorités rebelles du RCD/Wamba. Tant que l'opinion locale continuera a considérer le RCD comme ne jouissant d'aucune autonomie par rapport aux autorités ougandaises soupçonnées de parti pris dans ce conflit, il pourrait s'avérer difficile d'espérer un soutien populaire massif au profit du Comité de pacification; ainsi, l'ASADHO demande-t-elle aux autorités ougandaises et celles du RCD/Wamba de garantir la sécurité à toutes les personnes habitant la « province », sans distinction de tribu et de ne pas attiser les conflits inter-ethniques pour justifier les massacres des populations et leur présence dans le territoire de la RDC.

2/ Désarmer les bandes et milices armées. Mais cette nécessité pourrait aussi être rendue hypothétique par l'attitude partisane affichée par armée d'occupation ougandaise :

3/ Apporter de l'assistance humanitaire aux victimes, en particulier aux populations déplacées et aux blessés.

A court terme :

1/ Une enquête devrait être menée sous la responsabilité d'une autorité neutre et crédible comme le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, afin d'établir les responsabilités, notamment dans les rangs de la hiérarchie militaire ougandaise et des dirigeants du RCD-ML qui revendiquent le contrôle du territoire dans lequel se sont déroulés les événements déplorés.

2/ Les autorités ougandaises et RCD-ML devraient pouvoir accorder toutes les autorisations et droit d'aces aux organismes humanitaires tels que le Comité international de la Croix Rouge afin d'assister les déplacés et les blessés.